De l'intelligence collective

Publié le par Christian Jacomino

L'hypothèse la plus probable est, selon moi, que la télévision a brisé quelque chose dans le système de l'intelligence collective en altérant les modes de communication orale dans les familles et dans l'environnement social immédiat. La télévision a brisé le jeu interactif de la parole qui fait de tout échange linguistique un moment d'apprentissage du monde et d'abord de la langue. Quand quelqu'un vous parle, il est indispensable que vous l'écoutiez bien, parce qu'il est indispensable que vous le compreniez, parce que de cette compréhension dépendra que vous puissiez lui répondre. Si vous ne lui répondez pas, vous montrez que vous ne l'avez pas compris ni sans doute seulement écouté, ce qui sera vexant pour lui, et de plus vous mettrez fin au jeu de l'échange, alors que le but premier de tout échange est qu'il se poursuive. Si vous n'êtes pas sûr de bien comprendre ce que l'autre vous dit, ou si vous n'êtes pas sûr de savoir quoi lui répondre, il existe une manière facile de s'en sortir qui consiste à répéter ce qu'il vous a dit, ou plutôt ce que vous avez cru comprendre dans ce qu'il vous disait. Les vieux niçois font un usage immodéré, très amusant mais très efficace aussi de ce procédé. On peut reconnaître ceux qui ont appris à (se) parler avant que la télévision ne se répande et ne commence à faire ses ravages à l'utilisation qu'ils font de la répétition, du feuilletage conversationnel. Car la répétion de ce que l'autre vient de dire est une façon de vous assurer que vous avez bien compris. C'est une façon surtout de lui marquer que vous l'avez écouté, que ce que qu'il dit vous intéresse. Et c'est une façon enfin de faire que le jeu de l'échange se poursuive. Or, dans tout cela, il y a de l'intelligence collective. Il y a de l'effort de compréhension et donc de l'apprentissage (à tout le moins de la langue). Que deux personnes se parlent et nous avons déjà de l'intelligence collective (de l'apprentissage). Et non seulement la télévision ne vous entraîne pas dans ce processus, mais elle vous le désapprend. On voit cela dans les classes. Je songe en particulier à une maternelle où j'étais vendredi, où la maîtresse n'a pas réussi a raconter une histoire très simple parce que la proportion d'enfants qui l'écoutaient n'était pas suffisante. Et je songe aussi à l'expérience de la Bibliothèque verte de mercredi dernier. Mon travail a consisté à rétablir Thérèse dans un système d'échange linguistique traditionnel (sans télévision). Et cela a suffi a produire de l'apprentissage, sans que j'aie besoin quant à moi de définir le sens d'aucun mot qu'elle employait, sans être bien sûr moi-même de rien comprendre au départ à ce qu'elle disait. 

Publié dans Lire en atelier

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E
lien à suivre :http://www.academie-sciences.fr/actualites/textes/enseignement_03_02_06.pdf
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E
Lien à suivre :http://www.futura-sciences.com/news-risques-environnements-intelligents_9789.php
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E
Merci pour ces beaux articles et commentaires auxquels je n'aurais, il y a un instant, souscrit qu'en partie, seulement parce que tu/vous as/vez écrit plus complètement que ce que j'aurais pu en dire. Maintenant, évidemment que j'adhère à chacun de ces mots. La déconfiture mentale procède de cette passivité du récepteur humain face à son récepteur hertzien. Le père-récepteur sert le percepteur, mais n'est pas bon précepteur. Et parfois je me demande s'il serait évaluable de mesurer la couche supplémentaire qu'en remettent certains usages de nos vénérées T.I.C...Eric
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A
http://www.arsindustrialis.org/
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C
C'est vrai. Les gens ancrés dans une culture orale parlent de manière plus abondante, leurs périodes oratoires sont plus longues. Ils s'efforcent de capter et de retenir l'attention de l'interlocuteur. Aujourd'hui, nous sommes impatients que l'autre dise ce qu'il a à dire, nous attendons qu'il produise des propositions qui puissent être détachées du contexte de leur énonciation, qui vaudraient pour elles-mêmes, dont on pourra se régaler ou se moquer au zapping du soir. Nous ne parlons plus dans l'ici et maintenant d'une communication avec l'autre réel (qui se trouve devant nous) mais dans l'espace d'une universalité abstraite où ne nous adressons plus à personne en particulier mais où nous tâchons de nous mettre en valeur nous-mêmes, de nous justifier aux yeux d'un Autre absolu et virtuel.
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