Réseau Ambition Réussite

Publié le par Christian Jacomino

[Je reproduis ci-dessous l'introduction de mon premier rapport d'activité concernant le poste Réseau Ambition Réussite que j'occupe depuis la rentrée de septembre à Nice.]
 
Dans toutes les classes que j’ai visitées depuis la rentrée, j’ai trouvé des enseignants très respectueux à l’égard des enfants. Ces collègues, souvent très jeunes dans le métier, semblent préparer leurs séquences avec soin. Ils se montrent soucieux de bien répondre aux exigences des programmes et à ce que l’inspection peut attendre d’eux sur le plan pédagogique ; peut-être moins à répondre aux besoins réels des enfants auxquels ils s’adressent.
 
Du côté des élèves, j’ai été frappé par un bonheur visible d’être en classe. Dans l’ensemble, ces enfants montrent beaucoup de respect, de confiance et même d’affection à l’égard de leurs maîtres. En revanche, l’attention d’une proportion assez considérable d’entre eux me paraît volatile. Ils ont du mal à rester silencieux, à écouter les autres, et surtout à observer à la lettre les consignes données par l’enseignant. Visiblement, le milieu social ne les a pas préparés à accepter la contrainte et à répondre à l’exigence de précision que suppose l’enseignement scolaire.
 
Parmi ceux de cycle 3, sur lesquels s’est concentrée mon observation, il semble que le nombre de non lecteurs soit assez faible. Mais, pour beaucoup, la compétence en lecture reste limitée par une maîtrise de la langue largement insuffisante à l’oral. Non seulement leur vocabulaire et leur syntaxe paraissent des plus rudimentaires, mais (surtout) ils disposent d’un matériel phonématique très incomplet. Ce dernier point me paraît décisif. Il signifie que ces enfants ont appris à lire de manière ‘globale’ (même si ce n’est pas la méthode dite ‘globale’ qui a été utilisée pour leur apprendre), c’est-à-dire sans vraiment maîtriser le système de correspondances graphophonologiques de la langue, et sans même être bien capables de segmenter (en syllabes et en unités infra syllabiques) la chaîne parlée. Autrement dit, ils ont appris à lire sans disposer des compétences dont les spécialistes s’accordent à considérer qu’elles devraient être acquises à la fin des années de maternelle et qui constituent, selon eux, un prérequis à l’apprentissage de la lecture[1]. Ils lisent, tant bien que mal, mais l’on peut sérieusement douter
a)      qu’ils deviendront des lecteurs réellement autonomes (ce qui suppose qu’ils seraient capables de lire seuls, mais aussi de le faire en dehors des prescriptions de l’école);
b)      que leurs lectures les aident à beaucoup enrichir le vocabulaire et la syntaxe qu’ils utiliseront en production orale;
c)      qu’ils soient jamais à l’aise et compétents en production écrite.
 
Or, non seulement leurs professeurs ne semblent pas disposer d’une méthodologie adéquate pour raffermir la maîtrise du français à l’oral, mais ils ne paraissent pas avoir une conscience bien claire de ce que la source de leurs difficultés (qui sont celles d’abord de leurs élèves) réside dans cette insuffisance.
Ils n’ont visiblement pas été formés pour enseigner la maîtrise du français à l’oral, mais pour enseigner le passage d’un oral (réputé maîtrisé) à l’écrit (sur lequel porte toute leur attention). Et ce manque tient sans doute à qu’ils n’ont pas été formés pour enseigner en ZEP. Ils s’adressent à des classes dans lesquelles la quasi-totalité des élèves sont issus de l’immigration, et évoluent par conséquent dans un milieu familial et social où le français est parlé comme langue étrangère ou seconde ; mais ils le font de la même manière qu’ils l’ont vu faire, au cours de leur formation, dans les écoles des ‘beaux quartiers’.


[1] Cf. Sylviane Valdois, ‘Ce que la dyslexie nous enseigne sur la lecture et son apprentissage’, dans Observatoire National de la lecture, Nouveaux regards sur la lecture, CNDP, 2004, p. 223-240.
 

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Publié dans Lire en atelier

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C
Brigetoun, Les pratiques sociales de la parole sont bien sûr déterminantes. Mais ce qui se passe dans les familles échappe - heureusement - au pouvoir des enseignants. Ceux-ci doivent s'adapter. Et s'ils veulent réduire, tant que faire se peut, les inagalités sociales ils doivent se demander: Quelle est la méthode d'apprentissage de la lecture qui favorise le mieux le développement des compétences linguistiques à l'oral?<br /> Autrement dit: la bonne méthode d'apprentissage de la lecture n'est pas celle qui opère en silence, par repérage visuel, comme si les mots ne faisaient pas de bruit.
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B
est ce vraiment la méthode employée pour l'apprentissage de la lecture qui est en cause, ou le manque de dialogue permettant la maitrise de l'oral ?
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