Le complexe du professeur de français

Publié le par Christian Jacomino

Beaucoup de professeurs ne se satisfont pas de la lecture. Ils angoissent. J’essaie de comprendre cette angoisse, sur quoi elle repose, en quoi elle consiste. Je vois trois grands motifs.
Le premier concerne l’autorité. Il a été bien vu par George Steiner, qui écrit par exemple :
"Il serait béat d’espérer restaurer le complexe d’attitudes et de disciplines jouant dans ce que j’ai appelé ‘l’acte classique de la lecture’. Les rapports de force (auctoritas), l’économie du loisir et du service domestique, l’architectonique de l’espace privé et du silence préservé qui supportent et entourent cet acte sont largement inacceptables au regard des objectifs égalitaires et populistes des sociétés de consommation occidentales" (Passions impunies, p. 31).
Le second regarde la compréhension. Les professeurs ne sont jamais tout à fait sûrs que leurs élèves ont compris ce qu’ils ont lu. Ils veulent vérifier. Pour ce faire, ils posent des questions. Sur la signification de tel mot, par exemple. Et ils constatent que leurs élèves, le plus souvent, sont incapables de la définir. Ce qui n'indique aucunement qu'ils n'auraient pas compris (avez-vous déjà essayer de définir la signification même du mot le plus simple? Et d'ailleurs, vous en êtes-vous jamais soucié?). Mais l'épreuve ne manque pas d'augmenter leur angoisse, et celle de leurs élèves pour le même prix.
Le troisième a trait à la compétence linguistique. A force, ils ont fini par admettre que la capacité de lecture est directement conditionnée par la compétence linguistique à l’oral. Mais ils ne voient pas qu’en retour l’activité de lecture enrichit cette compétence linguistique. Et qu’elle le fait d’autant mieux qu’elle est pratiquée à l’oral.
Ces trois motifs ensemble forment un complexe : le ‘complexe du professeur de français’ qui n’est ni un vrai professeur de lettres, ni un linguiste.
Avons-nous seulement la curiosité de savoir comment cela se passe ailleurs? S’il existe, par exemple, un ‘complexe du professeur d’anglais’ équivalent à ce que nous connaissons chez nous, et qui pèse si lourd sur notre système éducatif?
Ou, plus intéressant encore, si le ‘complexe du professeur de français’ se fait sentir de la même manière dans les autres pays francophones?
 
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Publié dans Lire en atelier

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C
Je le trouve bien un peu réactionnaire... Mais vous commencez à me connaître assez, Brigetoun, pour deviner que cela n'ôte rien à mon admiration et à ma gratitude. (Francis Ponge, lui aussi, se déclarait 'très réactionnaire'... ce qui ne l'empêchait pas de garder une bienviellance toujours pure pour ceux de qui incarnaient à ses yeux l'avenir...) 
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B
Ce cher George Steiner nous inspire !
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