D'une révolution culturelle

Publié le par Christian Jacomino

Le goût classique, à la cour comme à la ville, est celui de la parole. Des fins propos, du naturel, de l’esprit, des conversations mesurées entre gens de bien. Grâce à François de Sales et à son Introduction à la vie dévote (1608-1609), voici que la religion et le monde ne se font plus la guerre. Dans la préface à son ouvrage, l’auteur écrit:
Ceux qui ont traité de dévotion ont presque tous regardé l’instruction des personnes fort retirées du commerce du monde, ou au moins ont enseigné une sorte de dévotion qui conduit à cette entière retraite. Mon intention est d’instruire ceux qui vivent ès villes, ès ménages, en la cour [...].
 
Dans les recommandations qu’il fait comme dans celles des Jésuites, une forme de sociabilité, voire de mondanité, est élevée au rang d’exercice spirituel. Et quant au style qu’il emploie pour convaincre, Michèle et Michel Chaillou évoquent
 
Le sang de ses phrases clouées de douceur.
 
Puis, les aristocrates sont mis à la lanterne, ainsi que les curés, et l’on pourrait s’attendre à ce que le monde soit définitivement promu. Que se produise une sorte d’assomption jubilatoire de la culture populaire, dont l’esthétique et la morale de l’école républicaine auraient amplement profité. À la place de Madame de Sévigné, on eût mis George Sand. À la place de Fénelon, Jules Verne. Corbière à la place de du Bellay. Mais les choses ne se sont pas du tout déroulées de cette manière. Le mot d’ordre n’a jamais été en faveur de la culture populaire. L’effort n’a pas même consisté à mettre en évidence la belle porosité qui existe depuis toujours, en France comme dans les autres nations, entre culture populaire, culture aristocratique et culture savante. Simplement, l’école a pris le parti de l’écriture. Ou son parti de l’écriture. Elle s’est fait un domaine de compétence de l’orthographe et, accessoirement, du travail du style. Et c’est sur la maîtrise (approximative) de cette double discipline qu’elle a établi son pouvoir de décerner le certificat d’études primaires, diplôme qualifiant à tout le moins dans la fonction publique.

Nous nous situons aujourd'hui encore dans l'attente interminable d'une révolution culturelle qui ne s'est pas opérée. Ou qui s'est opérée à l'envers. Car ce qui s'amorce au 18e siècle, ce n'est pas la promotion de la parole populaire (en quoi devait consister, au début du 19e, le travail de George Sand, par exemple), ni plus largement de la culture produite par le monde (dont on ne se résigne pas à admettre qu'il soit dominé par le marché). C'est bien plutôt le renversement du rapport hiérarchique entre oral et écrit. Et, dans ce scénario, le rôle de l'école a consisté à valider et diffuser une idéologie scriptocentriste, à caractère élitiste, qui fait de l’austérité, du silence, d'un ascétisme hautain (marqué de jansénisme) un idéal jamais atteint, et qui ne peut l'être, dans la mesure où il paraît incompatible avec les conditions réelles d’un enseignement de masse.

Publié dans Lire en atelier

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