Trois périodes

Tu lis les prospectus les catalogues les affiches qui chantent tout haut

Voilà la poésie ce matin et pour la prose il y a les journaux

Il y a les livraisons à 25 centimes pleines d’aventures policières

Portraits des grands hommes et mille titres divers…

(G. Apollinaire, Zone, dans Alcools).

L’imprimé fait l’objet de maints usages liés qui s’observent aussi bien dans le fonctionnement d’une société moderne, laïcisée comme la nôtre. Devons-nous les considérer comme d’obscures survivances d’un autre âge? Ou ne serait-il pas plus raisonnable d’admettre que l’habitus de la lecture intensive auquel ils ressortissent se situe, aujourd’hui encore, au coeur de nos pratiques culturelles?

Le cinéma, en adaptant nombre d’œuvres patrimoniales de la littérature universelle, permet de faire retour sur elles et de les placer au centre de réseaux de commentaires et d’échanges que la Toile enregistre. La ferveur qu’un immense public à travers le monde voue au Seigneur des anneaux comme au cycle des Harry Potter a profité du renfort des médias les plus modernes. Elle n’en témoigne pas moins d’un attachement remarquable à l’habitus de la lecture traditionnelle.

Tout se passe comme si l’âge de la lecture intensive se partageait en au moins trois grandes périodes:

(1) une période classique, marquée par la domination des écrits religieux et de la Bible en particulier, ainsi que par la rareté des livres et par un taux d’alphabétisation réduit dans les populations concernées;

(2) une période moderne, dans laquelle l’habitus de la lecture intensive, investi par les idéaux républicains, est pris en charge par l’école;

(3) une période post-moderne, dans laquelle nous nous situons aujourd’hui, que caractérisent une laïcisation massive du corpus, la profusion des livres et un taux d’alphabétisation élevé, mais où le marché éditorial, par ses propres moyens et grâce au renfort que lui apportent les médias audiovisuels, parvient à susciter des engouements de masse (fussent-ils éphémères, encore que ce caractère puisse n’être que de surface (car si l’engouement pour telle œuvre de littérature populaire peut paraître éphémère, l’engouement pour les genres, lui, est beaucoup plus durable)) et des usages liés.