Une zone d'opacité

Publié le par Christian Jacomino

Mario Asselin évoque un sondage paru au Canada sur le métier de directeur d'école. Je m'apprête à quitter, au moins provisoirement, cette fonction que j'exerce depuis douze ans, et l'impression que je retire de l'expérience est qu'elle constitue une zone d'opacité dans la radiographie de notre société. J'entends par là que tout le monde ou presque se trouve avoir affaire, à un moment ou un autre de sa vie, aux directeurs d'école, que rien n'est plus commun qu'un directeur d'école, et que pourtant très peu de gens ont une idée précise de sa fonction, des responsabilités qui lui incombent et des limites de son pouvoir. Non pas parce que l'exercice de ce métier serait couvert par un 'secret défense' (les informations sont facilement accessibles, il suffirait de demander) mais parce qu'une sorte de pudeur, de crainte religieuse, fait que personne n'en parle (les journaux, la télé), personne ne veut savoir vraiment ce qui se passe de ce côté-là. Et, quant à moi, je me vois quitter cette fonction sans trouver le moyen d'en parler davantage. On touche très vite au champ d'un secret professionnel qui me paraît incontournable. Et il y a, en outre, quelque chose d'absurde dans la définition de ce métier, dans ce fonctionnement bureaucratique, à propos de quoi il s'avère difficile de s'exprimer sans aussitôt perdre la mesure. Soit l'on voudra tout dire, et l'on se trouvera aspiré dans une sorte de spirale dénonciatrice qui vous fera déroger à la règle du secret professionnel en même temps qu'elle vous fera passer pour un dangereux paranoïaque. Soit l'on voudra tenir un discours mesuré, acceptable, et l'on restera très en-deça de la vérité, cautionnant de fait le discours bureaucratique lénifiant tel qu'il opère dans la presse syndicale (où l'on fait semblant d'ignorer, en gros, que beaucoup d'enseignants ne font tout simplement pas leur métier sans qu'il leur en coûte rien, sans qu'aucun supérieur hiérarchique n'ait le pouvoir de les faire travailler d'une manière plus conforme aux programmes officiels et aux préconisations de la recherche en sciences de l'éducation).

Le résultat en est que, dans un société comme la nôtre, dont tout le monde voudrait que le fonctionnement soit le plus transparent possible, où il semblerait que les moyens d'information soient tellement puissants que plus rien ne leur échappe, il pèse sur cette profession une sorte de secret qui rend toute réforme impossible. Le travail que Milan Kundera a fait à propos de la Tchekoslovaquie stalinienne, personne ne l'a fait à propos du fonctionnent de l'école dans la société française, et nous n'en ferons pourtant pas l'économie. Même si notre orgueil national-républicain doit en souffrir, cette tâche de 'salubrité publique' (F. Ponge) me paraît nécessaire.

Publié dans Libéralisme

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M
Je me suis beaucoup reconnu dans votre billet M. Jacomino. Il est vrai que beaucoup de silence et d\\\'isolement entoure la fonction de chef d\\\'établissement. En même temps que je sois persuadé que c\\\'est le plus beau métier du monde, c\\\'est aussi l\\\'un des plus exigeants... à moins que ce dernier fait explique ma première prise de position ?!?<br /> <br /> Merci pour ce billet.
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